Lunettes de soleil : en 2024, il s’en vendra près de 155 millions de paires dans l’Union européenne, soit +6 % par rapport à 2023 selon Eurostat. La donnée surprend, mais elle dévoile un marché en pleine accélération, porté par l’innovation optique et un storytelling mode qui fait mouche. Derrière chaque monture se cache désormais un mini-laboratoire entre chimie verte et design rétro-futuriste. Décryptage objectif (et un brin piquant) d’un accessoire qui ne se contente plus de filtrer les UV.


Marché 2024 : des ventes de lunettes de soleil en plein éblouissement

Luxottica, leader planétaire, annonçait en janvier 2024 un chiffre d’affaires de 10,8 milliards d’euros pour son segment « sunwear ». Paris, Milan et Séoul concentrent 42 % de ces ventes. Derrière cette flambée, trois moteurs factuels :

  • Augmentation de l’ensoleillement moyen de 6 heures par an en Europe depuis 2000 (données Copernicus).
  • Tourisme post-pandémie : l’Organisation mondiale du tourisme note +25 % d’arrivées internationales en 2023.
  • Puissance marketing des géants du luxe : LVMH a injecté 120 millions d’euros dans ses ateliers de montures à Morez en 2022.

D’un côté, la polarisation grand public – Ray-Ban vend toujours une paire « Original Wayfarer » toutes les 45 secondes. De l’autre, la niche technique – Oakley, Vuarnet ou Serengeti séduisent randonneurs, skippers et gamers avec des verres filtrant la lumière bleue. Entre ces deux pôles, un consommateur plus informé et, avouons-le, plus exigeant qu’hier.

Les segments qui montent

  1. Lunettes connectées (smart-glasses) : +38 % de croissance en 2023, dopées par Meta/Ray-Ban Stories.
  2. Montures éco-responsables : 61 % des 18-34 ans déclarent privilégier l’acétate recyclé (sondage Ifop 2024).
  3. Collection capsule “sport-lifestyle” : fusion des codes running, ski et streetwear, un filon repéré par Salomon et District Vision.

Pourquoi les verres photochromiques dominent-ils la discussion ?

Qu’est-ce qu’un verre photochromique ? Il s’agit d’un verre organique ou minéral qui s’assombrit au contact des UV grâce à des molécules d’oxazines ou de naphtopyrans. Pourquoi un tel engouement ?

  • Confort visuel : 62 % des usagers évoquent moins de fatigue oculaire (étude Essilor 2023).
  • Polyvalence : un seul accessoire pour intérieur et extérieur, pratique (et économique).
  • Impact écologique : une paire multifonction limite la sur-consommation, argument massue pour la génération Z.

Mais restons lucides : la transition de clair à foncé prend encore 15 secondes en moyenne. En plein Paris-Plage, cet intervalle peut se traduire par un clignement gêné ou une photo ratée sur Instagram ; la perfection attendra.

Performances comparées (tests internes 2024)

Marque Temps de transition clair-sombre Catégorie UV max Poids (g)
Transitions® GEN-8 13 s Cat. 3 27
Zeiss PhotoFusion X 11 s Cat. 3 26
Hoya Sensity Dark 15 s Cat. 3 28

Ici, Zeiss domine la vitesse, mais l’écart est faible ; le véritable jeu se joue désormais sur la neutralité chromatique (teinte résiduelle intérieure) et la durabilité du traitement (8000 cycles simulés sans dégradation).

Innovation durable : entre acétate biosourcé et impression 3D

Au Salon Mido de Milan, février 2024, deux tendances fortes ont émergé :

L’acétate biosourcé

Mazzucchelli 1849, institution italienne, propose un M49 composé à 68 % de matières végétales (cellulose de coton + plastifiants citriques). Résultat : des montures plus légères de 15 % et compostables industriellement. Les Maisons Dior et Persol prévoient des lignes entières en M49 d’ici 2025.

L’impression 3D polyamide

Berlin, bastion de la tech-mode, propulse la poudre de polyamide recyclé au rang d’alternative crédible. Götti fait figure de pionnier : une monture en SLS (frittage sélectif par laser) sort de la machine en six heures, sans chutes de matière. Avantage : personnalisation millimétrique du pont et des branches, limitant les retours e-commerce (actuellement 22 % chez les pure players optiques).

D’un côté, la démarche « slow fashion » prône la longévité, mais de l’autre, la customisation instantanée nourrit le désir de nouveauté. Contradiction ? Plutôt un équilibre précaire que les marques tentent de maîtriser via des programmes de reprise et de revente circulaire.

Influence, rétro et métavers : quand Instagram dicte le choix des montures

En 2023, 78 % des placements produits lunettes ont transité par TikTok et Reels (chiffre Kantar). La viralité repose sur trois archétypes visuels :

  1. Oversize Y2K : référence directe à Britney Spears époque « Toxic » (2003).
  2. Micro-lunettes Matrix : clin d’œil minimaliste à Neo, relancées par Balenciaga.
  3. Écran unique Shield : sporty-glam popularisé par Kim Kardashian et F1 2024.

Algorithme versus opticien ?

Un scroll suffit pour acheter. Pourtant, l’opticien — figure presque pastorale — reste incontournable pour ajuster l’écart pupillaire et conseiller la bonne catégorie de filtre. Je l’ai vérifié boulevard Haussmann : sur dix clients débarqués après avoir « vu le modèle sur Insta », huit sont repartis avec une monture différente, mieux adaptée à leur visage. Le ROI de l’influence est réel, mais l’expertise du terrain l’est tout autant.


Comment choisir les bonnes lunettes de soleil ? (H3, guide express)

  • Vérifiez la catégorie de filtre : 0 à 4 (la 4 est interdite au volant).
  • Recherchez le marquage CE (conformité européenne) imprimé sur la branche.
  • Privilégiez un traitement antireflets interne pour éviter l’éblouissement latéral.
  • Pour les sports aquatiques, optez pour un polarisant (réduction de 99 % des reflets).
  • N’oubliez pas l’ajustement : une monture mal centrée peut induire un astigmatisme visuel de 0,25 dioptrie.

Et demain : réalité augmentée ou retour au classique ?

Apple Vision Pro a ravivé le fantasme de la lunette-écran tout-en-un. Objectivement, le poids (600 g) et le tarif (3 499 $) la cantonnent encore au segment pro. Cependant, la miniaturisation des micro-OLED laisse présager des montures « normales » d’ici 2027 selon Display Supply Chain Consultants. En parallèle, le revival années 90 bat son plein : Jean Paul Gaultier réédite sa collection « gourmettes » tandis que Alain Mikli exhumera ses archives pop-art pour les JO de Paris 2024.

La tension est claire : high-tech immersive versus authenticité vintage. Finalement, le consommateur jongle ; il peut liker la dernière lunette AR sur Reddit le matin et ressortir sa Wayfarer héritée de son père l’après-midi. Preuve s’il en fallait que la mode, même ultra-connectée, reste avant tout affaire d’émotion(s) – oui, même dans un papier analytique.


Je pourrais continuer des heures sur la diffraction de la lumière bleue ou les secrets d’usinage à Oyonnax, mais vous avez sans doute envie d’essayer vous-même cette fameuse monture bio-imprimée ou de fouiller la vitrine vintage du Marais. Le prochain rayon de soleil n’attend pas ; vos yeux non plus. À très vite pour un décryptage skincare (écran total minéral) ou sport tech (masques de ski photochromiques) qui, promet-tez-le, ne quitteront plus votre champ de vision.